Samedi 8 juillet 1967 – Samedi 8 juillet 2017 : 50 ans de vie sacerdotale

Lendemain de l’ordination sacerdotale de l’AbbĒ Paulin Dembélé

 

Textes bibliques du 2ème Dimanche de l’Avent B

Is 40, 1-11 ; Ps 84 ; 2P 3, 8-14 ; Mc 1, 1-8

 

Chers frères et sœurs en Christ,

« Tout est grâce » et « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8, 28).

En ce jour d’action de grâce et de grâces avec les Abbés Joseph Dakouo et Paulin Dembélé, que Dieu vous comble de ses grâces !

 La parole est difficile. Elle est encore plus difficile en ce jour spécial. Comment réussir à bien nourrir spirituellement tant d’hommes et de femmes aux attentes spirituelles multiformes ? Compte-tenu de cette difficulté, laissez-vous plutôt nourrir par ce que l’Esprit dit aux Eglises, et pardonnez-moi mes balbutiements.

Mon homélie partira de l’explication de la Parole de Dieu d’aujourd’hui. Puis, dans un deuxième temps, elle nous amènera à cueillir les fruits de cette parole dans la vie de l’Abbé Joseph Dakouo. Et pour terminer, elle nous encouragera tous, à porter des fruits semblables, sinon meilleurs, aujourd’hui.

La parole de Dieu de ce 2ème dimanche de l’Avent, fixe notre regard sur les deux venues du Messie. Et par conséquent, sur l’hospitalité également. Car, qui parle de venue, parle d’accueil et d’hospitalité aussi. Quels sont ces deux venues du messie ? De quelle hospitalité s’agit-il ?

La première venue du messie est sa naissance dans la chair : Dieu chez nous, Dieu avec nous, dans notre condition humaine, Emmanuel ! Nous fêtons cette première venue du messie chaque année à Noël, chaque jour dans notre vie terrestre. Elle est marquée par l’hospitalité, l’accueil que nous Lui offrons chez nous, dans notre cœur, dans nos familles, dans le monde.

La deuxième venue du Messie quant à elle, c’est son retour à la fin des temps. Elle sera marquée par notre accueil par le Christ, dans la maison de son Père.

Le messie s’abandonne à nous lors de sa première venue afin que nous l’accueillions sur terre ; et nous à Lui lors de sa seconde venue pour que Lui, nous accueille chez son Père. Mais il faut remarquer que c’est en venant à nous qu’Il nous apprend à aller vers Lui. Autrement dit, sa première venue nous prépare à la seconde. En effet, entre ces deux venues, se situe un temps d’attente ; c’est-à-dire, le temps de préparation à la seconde venue, le temps qui est donné à chacun pour l’accueillir dans son cœur en ce monde, afin qu’un jour, Lui nous accueille auprès de Dieu.

Mais de quel type d’attente s’agit-il donc ? D’une attente passive assis sous l’arbre à palabre ? D’une attente passive vautré sur un divan dans son salon en sirotant sa boisson préférée ou en dévorant ses meilleurs plats ? D’une attente passive en chantant et en dansant ? Non ! Il s’agit plutôt d’une attente active, une attente sur pieds, debout. C’est tout le sens du « restez en tenue de service » et du « gardez vos lampes allumées ». Lors de notre baptême, nous sommes devenus chrétiens et la tenue de service qui nous a été remise est bien le vêtement blanc porté ce jour-là. Ensuite le cierge allumé, cette bougie, nous a été remise en signe de cette lampe allumée. Le chrétien est loin d’être une personne assise sous l’arbre à palabre du matin au soir et du soir au matin ; il est loin d’être une personne installée ; il vit dans la perspective de l’attente du maitre de la Vie. Par conséquent, la vie chrétienne est un appel à être prêt ou alors à se préparer pour la vie à venir. Certains chrétiens en sont conscients et s’y préparent avec sérieux. D’autres moins.

Pour être concret, voyons si l’Abbé Joseph Dakouo, que j’appellerai Abbé Jo par la suite, profite bien de ce temps d’attente pour se préparer à la seconde venue du Seigneur. L’heure n’est pas bien sûr aux derniers bilans pour lui. Qu’il reste tranquille. Le bilan d’aujourd’hui est partiel, pour nous pousser à rester en éveil, et à savoir attendre le retour du Seigneur.

La vie de l’Abbé Jo, selon moi, se comprend aisément à la lumière du récit de son enfance accordé à « Eglise de San » et dont je souligne quelques aspects : « Né à Massanlu vers 1938, je suis le fils ainé de feu Raymond DAKOUO et de feue Jeanne d’Arc DAKOUO. Baptisé à Pâques 1939 en même temps que mon papa, mes parents me mirent à l’école en 1945 quand ils devinrent catéchistes : Dittara, Henlé’uy, Yabara. On me confia alors à feu Moise de Massanlu. Comme tous les enfants de mon âge, mes jeux préférés étaient : « fu’u, ’urulé, ‘ure », la lutte le soir au clair de lune à certains moments de l’année. J’aimais aussi la chasse aux oiseaux avec le lance-pierre. D’ailleurs, je ne connaissais pas de fête. Car, une fois la messe terminée, je partais en brousse jusqu’au soir… » Ecoutez-moi vous dire comment cette vie d’enfance annonçait déjà ce qu’a été essentiellement la vie de l’Abbé Jo.

« On me confia alors à feu Moïse de Massanlu » dit-il. Qui n’a jamais confié son enfant à quelqu’un d’autres ? Dieu lui-même confia son Fils à Joseph. Il a demandé au monde, à chacun d’entre nous, d’être hospitalier de son fils parmi nous, avec sa première venue. L’Abbé Jo l’a reçu dans son cœur avant de bénéficier à son tour, de l’hospitalité de la famille de feu Moise de Massanlu. Ensuite, il a lui-même été hospitalier envers des milliers de jeunes élèves et étudiants pour les éduquer.

En effet, l’Abbé Jo est ordonné prêtre le 8 juillet 1967, un samedi. 50 ans après, le 8 juillet 2017 tombe aussi sur un samedi. Tout est grâce ! Fils ainé de sa famille, il fait ainsi partie des pionniers de notre Eglise famille du Mali. En 1977, le directeur du petit séminaire de Togo est rapatrié d’urgence en France pour des raisons de santé. A évacuation d’urgence, une nomination d’urgence. L’Abbé Jo est ainsi nommé verbalement d’urgence à Togo, par le vicaire général, M. l’Abbé Jean Kwéné, pour le remplacer. De là, son aventure pastorale de formateur des prêtres et d’éducateur est partie pour de bon. Oui, nommé verbalement à Togo, pour trois mois, il passera finalement 29 ans dans les maisons de formation : 5 ans directeur du petit séminaire de Togo (1977-1982), 9 ans directeur du moyen séminaire Pie XII (1982-1991) avec au même moment, un pied au Lycée Prosper Kamara et un pied dans la formation des Filles du Cœur Immaculé de Marie (FCIM) ; puis 1 an au Centre de Formation des Catéchistes de Dobwo (1991-1992), 12 ans aumônier diocésain de l’enseignement privé catholique de San (1996-2008), et enfin, participe durant 2 ans, à l’ouverture du moyen séminaire de San (2008-2010).

Hospitalier pour cultiver et éduquer des citoyens maliens et les vocations ! Voilà le fil rouge de la vie de l’Abbé Jo. Lui qui a été atteint de teigne à son enfance, il va lutter, toute sa vie durant, contre la teigne des enfants, celle qui détruit non pas leurs chevelures, mais celle qui mine leurs pensées, détruit leur comportement, leur être, leur vie. Oui, aujourd’hui, le petit lutteur de Massanlu est devenu, au Mali, le champion en lutte pour les vocations. Le petit chasseur d’oiseaux de Massanlu est devenu, dans le grand pays de l’hippopotame qu’est le Mali, le plus grand preneur de jeunes pour la gibecière du Seigneur : en effet, il a formé 46 prêtres maliens (3 de Bamako, 8 de Sikasso, 4 de Ségou, 21 de San, 6 de Mopti et 1 de Kayes) dont 43 vivants et 3 décès (1 de San et 2 de Mopti). Le nombre de religieuses FCIM modelées en 9 ans est certainement considérable aussi. Ils sont innombrables, les élèves et étudiants qu’il a enseignés ! Il n’a pas connu de fête, depuis son enfance. Toujours dans la brousse, à la recherche, non pas d’oiseaux, mais de jeunes vaillants qui volent haut, pour le champ du Seigneur et/ou pour le service du Mali. Mais, dans la brousse qu’est Bamako, - ne dit-on pas dans nos villages que la ville est la brousse ou la forêt ? - dans la forêt bamakoise, l’inattendu se produisit un jour de l’année 1991 : Un feu de brousse venu d’on ne sait où, embrasa la forêt bamakoise et ses collines ; ses flammes et sa fumée enrhumèrent tout le Mali. Comprenez ici que je décris un évènement historique par une image liée à son enfance. L’Abbé Jo, notre chasseur réputé, a failli perdre sa vie dans ce feu, alors qu’il se battait pour le relèvement des jeunes et du Mali. Presqu’à l’image du coq qui a perdu sa vie, en se souciant de celle de la vache. Laissez-moi vous raconter cette histoire du coq et de la vache : « Un coq entend le vétérinaire dire au fermier de tuer la vache malade, si elle ne se réveille pas pendant trois jours. Le coq va dire à la vache malade : "Si tu es maligne, il faut te lever". Mais, la vache reste couchée. Le troisième jour, le coq lui redit : "Si tu ne te lèves pas vite, ils vont te tuer ; fais un effort, vite s’il te plait !" La vache, malgré son état de maladie, fait vraiment l’effort et réussit à se lever. Une fois debout, le fermier appelle sa femme et lui dit : "Quel miracle ! La vache malade est guérie, tue le coq pour qu’on fête cela". » Et oui, la vie est parfois injuste ; mais que cela ne nous empêche pas de faire le bien, nous enseigne cette expérience de l’Abbé Jo. Car « tout est grâce », « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. »

Comme vous le voyez, le Dakouo a beaucoup fait pour le Mali et pour le Seigneur, durant son temps d’entrainement préparatif au retour du Seigneur. Il a beaucoup fait, mais… un Koné aurait fait mieux en 50 ans.

L’Abbé Jo, toi qui es affectueusement appelé aujourd’hui « le vieux » par certains d’entre nous, laisse-moi te révéler certaines choses tenues secrètes entre tes enfants que nous étions sur les bancs du Lycée Prosper Kamara.

Tu aimais dire : Soyons sérieux ! Car tu brûlais du désir de nous voir nous prendre au sérieux en tout. Si bien que nous t’avions surnommé SS.

Tu as toujours pris ta mission d’éducateur très au sérieux. C’est pourquoi tu étais très attentif pour veiller sur nous, et quelque part, pour nous surveiller aussi. Mais nous, de loin, nous reconnaissions ton arrivée par le bruit cadencé de tes souliers : kubu kubu kubu kubu. Cela t’a valu le surnom de « Soulier ». Il suffisait de dire que « Soulier arrive » et tous, nous savions l’attitude à adopter.

« C’est ambigu » Voilà une autre expression que tu lançais sur notre visage quand quelqu’un n’était pas clair et franc. Ton troisième surnom vient de là : « Ambigu » ; non pas parce que tu étais toi-même ambigu, mais parce que tu rejetais les gens et les situations ambiguës.

Tu aimais dire : « Tout ce qui est fermé, fermente, et finit par s’éclater. Et quand ça s’éclate, c’est une odeur nauséabonde qui se repend. » Par cette image, tu nous invitais à l’ouverture, à la franchise, à la confiance.

Tu nous conseillais de ne pas être des gens toujours mécontents qui ne savaient que réclamer en disant : « Il n’y qu’à faire ceci ; il n’y a qu’à faire cela », comme si tout était très facile dans la vie. Or la vie est un combat. Avec humour, nous qualifions ces types de gens-là, les « y a qu’à »

Une autre phrase revenait bien souvent sur tes lèvres : « C’est à prendre ou à laisser » Par cette phrase, tu fermais nos bouches à toute négociation. L’éducation c’est aussi cela : être tranchant quand il le faut ; les enfants comprendront plus tard.

Un jour, un séminariste revient au séminaire avec une amie de classe du lycée. Lui, était tout petit ; elle était très forte et grande. Tu les regardas venir un instant, puis tu t’écrias : « Moooon vieux ! », avant de continuer ton chemin.

L’Abbé Jo, la liste est interminable. Tout cela a été pour nous, éducatif et instructif. Merci !

Aujourd’hui, tu es toujours avec nous dans la simplicité, spécialement lors des retraites de l’Union des Prêtres Maliens (UPM), comme un vieux derrière ses enfants au champ, les bras croisés derrière le dos, arrachant par moment quelques herbes avec sa pioche et leur prodiguant conseils et encouragements. Nous en sommes sensibles et t’en remercions. Il est tout à fait compréhensible que l’Union des Prêtres Maliens du Diocèse de San (UPMDS) ait demandé au Saint Père de faire de toi un Prélat de Sa Sainteté : Monseigneur DAKOUO, après Monseigneur KONE. Ce petit rappel de la manière dont tu attends la 2ème venue du Seigneur, nous parle aujourd’hui, à commencer par le jeune Abbé Paulin Dembélé.

Abbé Paulin, tu es affectueusement appelé « Wa Pau » par tes amis. Tu as UN jour de vie sacerdotale, pendant que l’Abbé Jo en est à ses 18 405 jours de vie sacerdotale, ou encore 50 ans et 155 jours de vie sacerdotale. Ta devise d’ordination est celle-ci : « Que vos reins soient ceints, et vos lampes allumées » (Lc 12, 35). Elle nous informe que tu es bien avisé de la lutte rude qui t’attend. De fait, ton chemin semble être tout tracé, semblable à celui de l’Abbé Jo : le chemin de la formation ; puisque tu es licencié en Science de l’éducation, et ton premier poste est le moyen séminaire de San. Rapproche-toi donc de l’Abbé Jo, pour profiter de son expérience de formateur, d’éducateur. Par lui, la Sagesse te parlera, et ta route portera de bons fruits. A toi, et à nous tes grands frères prêtres, il remet deux proverbes bwa. Enregistre le premier que voici : « O yi te baa, o tere te buu » (Si tu veux tomber dans la mer, il faut y tomber buu », c’est-à-dire qu’il faut se donner sans réserve, sans calcul, sans arrière-pensée. Ecoute le deuxième proverbe : Hinnaloo Moutian nyan we baramu lo : « Ba yi co yenu bo o wa a o minian a li fi a, baba o we we li wema », c’est-à-dire, quel que soit le nom qu’on te donne, si tu veux qu’il te convienne, pose les actes qui lui sont assortis. Pour préparer le face à face avec le Seigneur qui revient, « le vieux » exhorte chaque prêtre, chaque consacré, à aimer sa vocation et à la vivre à fond ; à ne jamais oublier le but, sa raison d’être : on est prêtre, religieux, religieuse pour la mission. La malédiction de Saint Paul plane au-dessus de notre tête : « Malheur à moi, si je n’annonce pas l’Evangile ! » (1 Co 9, 16). A tous les consacrés, je souhaite une bonne préparation au retour glorieux du Seigneur en maintenant les reins bien ceints, et la lampe allumée jusqu’au dernier souffle.

Chers frères et sœurs en Christ, la parole de Dieu et la vie de l’Abbé Jo nous lancent le défi de l’hospitalité. L’accueil que vous réservez à Dieu aujourd’hui, déterminera l’accueil que Lui vous réservera lors de la deuxième visite de son Fils. Dieu est hospitalier. Il nous donne l’occasion d’être hospitaliers en accueillant son Fils parmi nous. En accueillant sa Parole. En accueillant son projet sur nous. En accueillant les autres. Comme l’a fait et continue de le faire l’abbé Jo. Améliorons donc l’accueil des enfants, des écoliers, des visiteurs, des personnes âgées, des malades, de l’autre avec qui je vis dans la même maison ou au bureau, des personnes déplacées, des étudiants, des séminaristes et aspirantes dans nos familles. Ce que vous aurez fait aux plus petits, c’est à moi que vous l’aurez fait, nous dit Jésus. Si nous nous y mettons déjà au sortir de cette cathédrale, alors, cette journée des vocations voulue comme telle par l’Abbé Jo, aura tout son sens.

Chers frères et sœurs, interrogeons-nous, en ce temps d’attente active du retour du Seigneur : Suis-je hospitalier envers Dieu ? envers les autres ? Le suis-je singulièrement envers les étrangers ? les écoliers ? les jeunes filles et jeunes garçons qui aspirent à la vie religieuse ? les hommes de Dieu ? Suis-je du nombre des lutteurs pour la croissance des vocations ? Ou bien, suis-je de ceux qui détournent les vocations pour les noyer ? En tout cas, saint Pierre nous exhorte avec passion : « frères bien-aimés, faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables, dans la paix. » Et le jeune prêtre fait retentir dans nos oreilles ce leitmotiv : « Que vos reins soient ceints, et vos lampes allumées » (Lc 12, 35)

Seigneur, accorde-moi la grâce de la persévérance dans mon engagement chrétien.

Seigneur Jésus, tu m’invites à être prêts, mets en moi le désir de la sainteté et anime en moi cette persévérance dans l’attente, convaincu que tu reviendras. Amen !