Conférence Episcopale du Mali

LES EVÊQUES DU MALI

A LA COMMUNAUTE CATHOLIQUE

ET A TOUS LES MALIENS DE BONNE VOLONTE

A l’occasion de l’élection présidentielle de 2013

 

 « Plaidoyer pour une vraie solidarité : devenir de mieux en mieux un peuple, un but, une foi » : tel est l’appel que nous lancions au peuple malien en 2010, année de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance de notre pays. Au nom de notre responsabilité en tant qu’Evêques, nous vous invitions à donner une dynamique nouvelle à la solidarité, vertu sans laquelle notre société ne saurait vraiment être un « peuple », ne pourrait viser et atteindre le même « but » et ne saurait être animé la même « foi ».

Un an après la célébration de son cinquantenaire, notre pays est entré au début de l’année 2012 dans une période de turbulence qui a failli compromettre son existence dans sa forme républicaine, son unité, son intégrité et sa laïcité. Grâce au sursaut patriotique de citoyens civils et militaires, avec l’aide de certains pays amis et par la grâce de Dieu, nous revenons de loin. Aujourd’hui, notre pays vit un tournant important de son histoire et nous espérons enfin arriver au terme de la période de transition (instaurée par la crise politique et marquée par de nombreux rebondissements) avec la tenue dans quelques semaines de l’élection présidentielle. Elle  aboutira au choix par les urnes d’un nouveau Président de la République. Dans quel état d’esprit devons-nous aborder ce virage pour réaliser la devise de notre pays, et poursuivre le chemin du développement et de la prospérité ? Comment réussir cette élection, dont beaucoup doutent de la faisabilité à cause des grands obstacles qui restent encore à lever mais que d’autres jugent possible et même urgente pour tourner dans les meilleurs délais la page de la crise ? Comment aussi et surtout gagner le pari d’élections transparentes et fiables dans un pays où la volonté politique est la vertu qui manque le moins?

Chers fidèles catholiques, chers concitoyens, la réalisation de la devise de notre pays « Un Peuple – Un But – Une Foi » doit être notre priorité à l’heure actuelle.

  1. Etre un peuple uni dans sa diversité : depuis son indépendance, le Mali

aspire à cette unité. La crise que notre pays vit en ce moment dans sa zone septentrionale a remis en cause cette volonté de nos Pères de l’indépendance. Nous déplorons avec une grande amertume cette nouvelle rébellion et tous les troubles politiques et sécuritaires qu’elle a entraînés et trouvons regrettable que les armes soient encore utilisées comme moyen d’expression et de revendication. Les Maliens ont plutôt besoin aujourd’hui de lutter ensemble contre le sous-développement (la famine, le chômage, la pauvreté, l’ignorance, la maladie, la corruption, etc.) pour assurer le bien être de tous, où qu’ils se trouvent. En priant pour le repos des âmes de tous les citoyens du Mali et des pays amis tombés lors de cette crise, pour le rétablissement physique et moral des nombreux blessés, nous appelons l’Etat et tous les Maliens à œuvrer dans le sens de la paix, de la réconciliation et de la cohésion nationale afin que les élections à venir puissent nous donner la chance d’ouvrir une ère nouvelle vers une plus grande unité, vers un meilleur développement. Ainsi nous apportons notre soutien à la Commission Dialogue et Réconciliation (CDR) et lui souhaitons de réussir sa délicate et lourde mission de réconciliation des esprits et des cœurs au nord comme au sud du pays. Nous saluons toutes les initiatives allant dans le sens du rétablissement et de la promotion du dialogue et de la paix.

  1. Viser un seul et même but : Pouvons-nous viser le même but si nos

intérêts sont divergents ? Le but que nous devons prioritairement viser en cette année 2013 est le retour de la paix, de l’unité, de la cohésion et la bonne tenue de l’élection présidentielle. Chacun, à la place qu’il occupe et au niveau où il se trouve, doit se soucier d’instaurer un climat de paix et de réconciliation et d’œuvrer pour la bonne préparation et le bon déroulement de ce scrutin. Les élections sont un moment important dans la vie d’une nation démocratique. Le vote est le moyen par lequel chaque citoyen peut exercer le pouvoir en participant au choix de ses dirigeants. Il est donc important d’y prendre part. Mais il ne s’agit pas d’y aller pour la forme comme pour s’acquitter d’une contrainte encombrante. Il faut le faire avec une conviction, celle de « voter utile ». C’est pourquoi à la veille de l’élection présidentielle, nous invitons  chaque Malien à user de son droit de citoyenneté en toute responsabilité et lançons un appel pour la réussite du processus.

  •  A l’ensemble des citoyens, nous demandons d’aller massivement  aux

urnes afin de  consolider le défi de la démocratie et du multipartisme. Il s’agira, le moment venu, d’aller voter en toute liberté, conscience et responsabilité, en privilégiant l’être et non l’avoir. Nous devons mettre fin à l’achat de nos voix et au commerce des suffrages avec de l’argent ou d’autres moyens matériels et accepter d’aller voter, chacun selon sa conscience et pour l’intérêt du Bien Commun. Nous demandons aux fidèles catholiques de se mobiliser  pour l’élection présidentielle et les autres scrutins à venir. Voter est un acte citoyen qui est en même temps un droit et un devoir ; c’est un acte personnel qui engage la responsabilité du citoyen. Le chrétien est aussi un citoyen et à ce titre il a le devoir de se préoccuper de la bonne marche de sa cité, de sa patrie et d’y contribuer. Jésus nous rappelle dans l’Evangile qu’il faut donner «à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21). Le concile Vatican II, dans la même ligne, « exhorte les chrétiens, citoyens de l’une et l’autre cité, à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l’Esprit de l’Evangile » (Lumen Gentium n° 43). Chacun doit donc remplir ce devoir avec joie pour espérer jouir de ses droits. Cet appel est adressé à tous les Maliens. Sans la participation des citoyens, il n’y a pas de démocratie, il n’y a pas de République, il n’y a pas d’Etat non plus. Et sans une participation massive et responsable, la légitimité des institutions élues se trouve affaiblie. Nous avons le devoir d’élire avec discernement des hommes et des femmes soucieux du Bien Commun, capables de travailler au renforcement de la démocratie, respectueux de la laïcité et de l’unité de l’Etat, de ses institutions et des valeurs de notre société dans sa diversité, soucieux du vrai progrès de notre pays.

  • Aux candidats, nous recommandons qu’ils soient vrais avec les

électeurs dans leurs promesses électorales et dans leur ambition pour le Mali. Parler vrai et agir en vérité doit être la ligne de conduite de chacun. Les élections à venir sont un défi important pour tous les acteurs politiques. Le Pape émérite Benoît XVI rappelait que « le développement est impossible s’il n’y a pas des hommes droits, des acteurs économiques et des hommes politiques fortement interpellés dans leurs conscience par le souci du bien commun ». (Caritas in veritatae, 71). Ayez le souci de gagner les électeurs par la pertinence de votre programme de société et vos qualités personnelles. Tout autre action ou moyen pour parvenir au pouvoir est déplorable. Nous condamnons ici certaines pratiques occultes qui se répandent à l’approche des élections : il s’agit des sacrifices surtout d’êtres humains qui ont pour but de faire accéder au pouvoir. Le pouvoir est un don de Dieu. Pactiser avec le démon pour l’acquérir ne peut qu’attirer sur soi la malédiction.

Le vote n’étant pas la fin d’un processus électoral, nous vous invitons ainsi que vos partisans à respecter les résultats des urnes en vue de préserver le fragile climat de paix et de sécurité que connaît le pays. Le « fair play » fait partie de la culture démocratique. Respecter les résultats des urnes, c’est reconnaître, non la victoire d’un parti ou d’un candidat sur un autre mais celle de la démocratie et de la Nation. Nous ne pourrons nous permettre de donner encore notre pays en spectacle au monde entier, avec en plus le risque de décourager la communauté internationale et toutes les personnes de bonne volonté qui nous soutiennent en ces moments difficiles.

  • A toutes les personnes et structures engagées dans l’organisation et

la gestion des élections, nous demandons de veiller à ce que les élections se déroulent dans la transparence, la vérité, l’équité et la paix. Travaillez dans le souci de  préserver les scrutins à venir du virus de la fraude, ce virus que tous les candidats à une élection redoutent mais que chacun souhaite exploiter à son avantage. « Favoriser un bon déroulement des élections, suscitera et encouragera une participation réelle et active des citoyens à la vie politique et sociale. Le non-respect de la Constitution, de la loi ou du verdict des urnes, là où les élections ont été libres, équitables et transparentes, manifesterait une défaillance grave dans la gouvernance et signifierait un manque de compétence dans la gestion de la chose publique ». (Benoît XVI, Exhortation apostolique « Africae Munus », 81). Des élections justes et transparentes seront la garantie de la paix et de la stabilité. Le respect du verdict des urnes sera un signe de bonne gouvernance. Notre pays en a fortement besoin. Nul n’ignore aujourd’hui la valeur de la paix après la période douloureuse que nous avons vécue. La paix vient de Dieu mais doit être entretenue par les hommes. Œuvrons  de manière à ce que les élections à venir ne débouchent pas sur la violence et la division mais consolident ce que notre armée et les pays amis sont venus nous aider à sauver : la paix, l’unité et la cohésion. Notre pays en sortira fortifié, la démocratie aussi.

  • Aux hommes de médias et à tous les communicateurs, nous

rappelons la grande responsabilité qui est la leur dans l’information de la population et dans l’éducation de celle-ci aux valeurs de la démocratie. Nous vous invitons à vous acquitter de votre devoir professionnel dans la vérité et la sincérité pour préserver notre pays d’une crise politique avant, pendant et après les élections.

 

  1. Avoir la même foi : Aujourd’hui, beaucoup de Maliens ont perdu foi en

eux-mêmes, en leur pays, en leurs dirigeants politiques, en leurs compatriotes, pour des raisons diverses. Peut-on leur donner raison ? La confiance en certaines institutions et certains services publics s’est affaiblie à cause de la corruption, du clientélisme, de la démagogie et bien d’autres maux. Nous avons besoin de réinstaurer cette foi pour œuvrer ensemble en vue d’un vrai et profond changement de mentalité et pour préparer un avenir meilleur pour nos enfants. Les élections seront donc le moyen pour chaque citoyen de participer à la préparation de cet avenir en choisissant des hommes et des femmes dignes de confiance, capables de travailler à la réalisation du Bien Commun.

Chers fidèles catholiques, chers concitoyens, aujourd’hui le Mali a plus que jamais besoin d’unité, de cohésion sociale et d’espérance pour se reconstruire. Pour cela, nous en appelons au sens du civisme de toutes les Maliennes et de tous les Maliens pour relever le défi de notre devise nationale. Notre pays se portera mieux dans quelques années si nous mettons l’intérêt commun avant l’intérêt personnel et si chacun apporte sa pierre pour sa construction. Il faut d’ailleurs comprendre que l’intérêt personnel n’est garanti de façon durable que si l’intérêt commun est préservé.

Nous souhaitons que l’année 2013 soit porteuse d’espoir et de grâces pour le Mali et tous ses fils. Nous confions à la miséricorde de Dieu tous ceux qui ont perdu la vie durant la crise. Nous prions pour un prompt rétablissement des blessés et le bon retour des déplacés et des refugiés. Nous manifestons notre solidarité avec toutes les familles affectées. Nous  prions pour le retour de la paix dans les cœurs, la paix dans nos campagnes et nos villes, la paix partout dans le pays.

Puisse la Lumière de Dieu, le Tout-Puissant, éclairer nos consciences et nos actes en cette période électorale :

  • Pour retrouver notre dignité.
  • Pour honorer la mémoire de ceux qui ont sacrifié leur vie pour nous.
  • Pour glorifier Dieu qui nous a créés et qui veille sur nous par amour. Amen !

Que Dieu bénisse le Mali !

                                                                                                   

LES EVEQUES

Juin 2013.