Miche de pain. ©KisaomaNous entrons en carême, et nous allons une fois de plus nous demander comment utiliser au mieux ce temps qui nous mène à Pâques. L’Église nous recommande le jeûne, la prière et le partage. Certains trouveront cela sans doute austère, et poseront la question: le carême doit-il être triste?

Sophie de Villeneuve: Beaucoup parlent du Carême comme d'un temps de pénitence, est-ce une bonne façon de voir les choses?

N. M. : En ce qui me concerne, j'attends le carême avec joie, car c'est un rendez-vous que Dieu me donne pour grandir dans ma foi, pour grandir avec moi-même, avec Dieu et avec les autres. C'est une chance qui m'est donnée. Pénitence, oui, dans le sens d'un changement profond qui m'est proposé.

Mais vous êtes franciscain depuis longtemps, en quoi devriez-vous changer?

N. M. On n'a jamais fini de changer ! Le carême dure quarante jours. Il y a bien sûr les quarante ans au désert, et le but du désert, ne l'oublions pas, c'est la terre promise. Cette terre promise, c'est la terre du devenir soi. Je vais enfin devenir ce que je suis appelé à être: le fils bien-aimé du Père. Le carême, c'est un temps pour s'y exercer. Quarante, c'est aussi quarante semaines, et la grossesse dure quarante semaines. C'est une belle image, qui veut dire que le carême est un temps qui m'est proposé pour renaître, pour renaître à moi-même.

Donc finalement c'est bien plus qu'un temps de pénitence, c'est un temps de retournement sur soi, de relecture de vie, qui nous est proposé tous les ans?

N. M : Oui, c'est la pédagogie de l’Église, elle nous propose de vivre avec beaucoup plus d'intensité pendant un temps limité ce que nous sommes appelés à vivre tout au long de notre vie chrétienne.

Le carême, c'est toute la vie chrétienne?

N. M. : Bien sûr, cette démarche de conversion s'étend sur toute notre vie.

Se retrouver soi-même, cela veut-il dire savoir qui l'on est?

N. M. : Oui. Et cela se fait en contemplant le Christ. J'aime beaucoup cette phrase de Jésus qui dit: "Je vous dit tout cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite". Le désir de Jésus, c'est que nous connaissions en profondeur la joie, sa joie. Mais qu'est-ce que la joie de Jésus. Peut-on parler de joie quand on contemple le Christ en croix? Il y a une pépite dans la lettre de carême du pape François. Il écrit : "Jésus est riche de sa confiance sans limites envers le Père, de pouvoir compter sur lui à tout moment." J'ai entendu ces mots comme un appel très concret pour ce carême à grandir dans la confiance envers ce Père, de redécouvrir que c'est un père qui me veut heureux et qui m'indique le chemin du bonheur. Ce chemin, c'est de contempler le Christ et de marcher sur ses traces.

Ce chemin passe quand même par un temps de jeûne, de partage, de prière… Le jeûne, ce n'est pas très drôle, il faut faire des efforts. Comment faut-il le pratiquer?

N. M. : Je l'entends ainsi : "creuser, élargir l'espace de ma tente". Si je suis plein, plein de moi-même, de mes activités, il n'y a plus de place pour accueillir l'autre, pour accueillir Dieu et finalement pour accueillir la profondeur de ce que je suis. Le carême veut nous aider à ouvrir un espace et le jeûne, très concrètement, l'exprime physiquement. Alors qu'habituellement, quand j'ai faim, je comble immédiatement ma faim, je vais accepter de manquer, non pas pour manquer, mais pour m'ouvrir à un bien plus grand encore, Dieu, qui est capable de me combler. C'est cela, le sens du jeûne. En même temps, la faim me fait prendre conscience de ceux qui ne choisissent pas la faim, et donc elle m'ouvre les yeux pour une solidarité très concrète elle aussi.

Vous vous privez de certains aliments, vous mangez moins que d'habitude?

N. M. : Il y a différents types de jeûne, mais pour moi, je ne mange pas le vendredi soir. Je passe l'heure du repas à la chapelle en oraison. Du coup, une jour des chrétiens se sont joints à moi, car ils ne savaient pas trop comment vivre le carême, et depuis cela continue, et cela s'étend même maintenant sur toute l'année. C'est une manière très concrète de vivre le jeûne et de lui donner du sens.

C'est cela aussi, le partage qui nous est demandé?

N. M. : Bien sûr, c'est lié au partage. Pour moi, le partage, c'est aussi : est-ce que je me laisse interpeller par le visage de l'autre? Quelqu'un m'a rapporté avoir osé récemment adresser la parole à un mendiant près de qui il passait depuis des années. C'est cela aussi, partager : croiser le regard de quelqu'un qui nous laissait jusqu'alors indifférent ou qui nous faisait peur, et découvrir que lui aussi est fils bien-aimé du Père. Comment vais-je éduquer mon regard pendant ce carême?

Finalement, ce n'est pas quarante jours de tristesse?

N. M. : Non, c'est à prendre comme une chance de découvrir quelle est notre vocation, qui a trait à celle de Jésus, qui est  pour moi concrètement le grand frère que je suis moi-même appelé à devenir. On peut dire au Seigneur pendant le carême: Aide-moi à grandir dans l'amitié avec toi, et à te suivre d'une manière très concrète.

Le carême, c'est aussi préparer Pâques, un événement essentiel de la vie de l’Église. Cela passe par quoi? La contemplation, la prière?

N. M. : C'est un temps qui a plusieurs dimensions. L'une des plus belle, c'est la dimension de peuple. On vit ce temps en communauté. La foi, ce n'est pas seulement Dieu et moi. On est donné les uns aux autres pour chercher Dieu ensemble et aller vers lui ensemble. Les grandes cérémonies de la Semaine sainte, le lavement des pieds, la procession de la croix, et cette longue marche de la veillée pascale le disent très bien. Tout cela, c'est un peuple en marche. Une autre dimension pendant la Semaine sainte est de nous laisser faire par la liturgie qui est très belle. Si on peut vivre ces trois jours, c'est magnifique, et de plus en plus de chrétiens prennent des jours de congé pour cela.

Vous dites que le carême est un temps de transformation. Vous vous sentez transformé, vous, après ces quarante jours, chaque année un peu plus?

N. M. : Ce serait présomptueux de ma part de le dire ! C'est dans le cœur de Dieu. Mais oui, je crois que c'est un chemin spirituel qui nous aide à grandir tous les jours. Ce chemin-là, nous ne le construisons pas à la force du poignet, il nous est donné. Je crois que le Seigneur ne nous demande qu'une chose : nous rendre disponibles, avoir le désir de l'aimer davantage, et pour le reste, c'est lui qui fait le travail.

Donc il n'y a pas d'effort de notre part?

N. M. : Si. Nous rendre disponibles demande un vrai effort, très concret.

Cela veut dire se donner du temps tous les jours?

N. M. : Chacun a son rite. Certains vont marquer le mercredi des Cendres de manière particulière, et prennent le temps de prier, de lire l’Évangile, de célébrer en communauté. Dans ma communauté, chaque repas que l'on ne prend pas est noté, de sorte que l'argent qu'on n'a pas dépensé soit partagé.

Si j'ai bien compris, le carême n'est pas triste, il mène à la joie?

N. M. : Oui, à la joie de la Résurrection.

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Le F. Nicolas Morin, franciscain, répond aux questions de Sophie de Villeneuve. Publié le 7 février 2017.

Interview réalisée par Sophie de Villeneuve pour Radio Notre-Dame - 10 mars 2014
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